Les anomalies du Procès

Jean-Paul JEAN, photo 24 novembre 2015 au cours de la conférence-débat « Regards d’universitaires sur la réforme de la Cour de cassation »

Jean-Paul JEAN, Président de chambre à la Cour de cassation, vice-président de l’Association française pour l’histoire de la justice au cours de son intervention lors du colloque « Procès Papon, 20 ans après. 23 et 24 mai 2018, Bordeaux » exprimait son incompréhension que Papon ne soit poursuivi du chef de crime contre l’humanité que vis à vis des ayants-droits constitués en parties civiles (et donc à quelques convois seulement) et non à l’ensemble des convois et des victimes comme cela aurait pu se faire si la plainte avait été élargie ou étendue, comme cela aurait été possible, d’après lui.

Cela a une sacrée importance, d’abord nos avocats étaient divisés. Certains ( les Klarsfeld entre autres) estimant qu’il y avait un auteur principal, les nazis, et un complice, l’Etat français. D’autres ( les avocats professionnels : Boulanger, Jakubowicz, Levy, Zaoui et les autres ) considérant que le crime contre l’humanité est indivisible et que la complicité de crime contre l’humanité n’existe pas. Ce que d’ailleurs la Cour Pénale Internationale devait confirmer quelques années plus tard.

Premier problème : Papon entre en Octobre 1997 devant la cour d’assises inculpé de Crimes contre la l’Humanité et en sort condamné, en Avril 1998, à 10 ans pour complicité de Crime contre l’Humanité. Interrogé par mes soins sur ce point, lors du colloque cité plus haut, Jean-Paul JEAN n’a pas su ou n’a pas voulu me répondre.

Deuxième problème : Pour la défense, Papon n’a jamais signé d’ordres d’arrestation, ce qui est vrai au regard de l’acte d’accusation et des parties civiles, aucune ne représentait une personne ayant subi un ordre d’arrestation. Or de nombreux ordres d’arrestation existaient dans le dossier. Aucun n’a pu être présenté. Ce qui a une sacré importance, car avec cette accusation supplémentaire, Papon aurait pu être condamné à 20 ans au lieu des 10 ans.

Troisième problème : Si le crime avait réussi et qu’il n’y ait pas eu de survivants, il n’y aurait pas eu d’ayant droits et donc avec la logique bordelaise, il n’y aurait pas eu de procès faute de parties civiles individuelles constituées. Ce qui dans le cadre d’un crime contre l’humanité est paradoxal.

Tout cela est développé dans le livre en plusieurs endroits…

Focus sur les falsifications de nationalité !

Un dossier accablant pour Papon… Le traficotage des nationalités. Je m’explique : Papon arrête des Juifs hongrois ou grecs, en 1942, ils ne sont pas déportables, ils sont relâchés par les allemands de Mérignac. Quelques jours après, ils réapparaissent, même nom, même prénom, même date de naissance mais Budapest devient Bucarest, Hongrie devient Roumanie et là, ils sont déportés puis exterminés. C’est une des spécialités du service des question juives de la préfecture avec la déportation des enfants ( avant les accords Oberg-Bousquet, on les met dans des familles d’accueil et quand les accords s’appliquent, on va les chercher ) et des catholiques.

extrait page 171 – 177


Jean-Louis Castagnède : « Mais enfin, Papon, avec ces falsifications de nationalité, nous sommes au cœur du Crime contre l’Humanité »

Maître Varaut revient sur les propos tenus hier par nos avocats sur la falsification des nationalités. Il prétend que la liste présentée hier a été établie en 1948 à la demande de Stienne juge du procès Dehan. Il demande l’audition de Bergès et du général Stienne et enfin accuse les parties civiles de forfaiture.

(Brouhaha dans la salle.)


Le président Castagnède « Ce ne sont pas de nouveaux documents, ils sont au dossier. Chaque partie civile a amené ces listes. Moi, j’ai travaillé sur d’autres documents. Voici un document, la liste des femmes déportées. “État des Juifs Femmes” et voici un autre document “État des Juifs Hommes”

(…)

L’avocat général Robert : « Et soudain, on voit le 3ème type de listes, celles des déportés, nous nous apercevons que quelques soient les listes que nous prenons la nationalité disparaît. C’est bien la preuve que Maître Klarsfeld a raison, cela a lieu à Mérignac. Sur une liste, nous voyons Yunger Lazare, né le 26 mai 1900 à Kalinsky en Hongrie. Il se retrouve dans une autre liste apatride, puis polonais. »

(…)

La défense crée un nouvel incident en parlant d’un document apparemment inconnu du dossier. Finalement et une fois de plus, il existe déjà au dossier, mais les avocats s’énervent. On assiste alors à une scène ubuesque. Varaut, Klarsfeld, Boulanger et Favreau sont debout parlent tous en même temps, s’invectivent. Il est question d’un livre blanc pour les parties civiles, bleu pour Varaut, Klarsfeld lui lance à ce moment « C’est vrai que vous n’êtes pas Blanc Bleu ». C’est chacun à qui son exemplaire est meilleur que l’autre. Boulanger et Favreau s’engueulent, Favreau veut verser son exemplaire, Boulanger ne veut pas. Las, l’avocat général Robert s’assoit en levant les bras au ciel. Le président Castagnède sourit. On se lance du Bergès par-ci, du dossier annulé par là, des livres publiés en librairie pour les uns, à la bibliothèque de l’académie pour l’autre, Varaut, notre cher académicien ami-ami avec Druon, le maudit. Les parties civiles sourient, ça doit être ça l’oralité des débats.
Le président Castagnède met fin à la discussion « C’est hallucinant, j’arrête la discussion. »
L’avocat général Robert « Quant à moi, je continue à travailler sur le dossier. Il me suffit en l’état. » Et l’interrogatoire se poursuit. Il s’interroge sur le cheminement des listes. Quand Papon demande à l’avocat général Robert ce qu’il aurait fait à sa place, il répond certainement pas comme vous. Les parties civiles « il fallait partir, il fallait démissionner. » L’avocat général Robert
signale que les commissaires envoient bien leur rapport à Garat. Évoque les arrestations de Libourne qui répondent aux instructions du service des questions juives à la préfecture et envoient leur compte rendu au service des questions juives.
Papon, à un moment, a ce mot « Il faut demander à l’agent de police pourquoi il procède à l’arrestation. »
L’avocat général Robert « C’est fou le nombre de subordonnés que vous ne contrôlez pas, qui n’en font qu’à leur tête. Quelle organisation? » Il parle ensuite d’un compte rendu du Bouscat qui selon les instructions du service des questions juives deux jours après le départ du convoi arrêtent deux Juifs oubliés. « Pourquoi le service des questions juives dit il faut les arrêter tout de suite ? » Puis l’avocat général Robert aborde le troisième chapitre de son interrogatoire, le résultat des rafles. Papon revient sur ses explications paponesques, les différences entre les chiffres allemands et les siens sont dues à lui et à ses sauvetages. Cite un entretien téléphonique entre Eichmann et Danneker qui se plaint qu’un train de Bordeaux n’est pas parti, le nombre mentionné est celui donné par Garat. L’avocat général Robert revient sur les Juifs grecs et hongrois dont on change la nationalité, L’avocat général Robert « Joseph Cohen, grec; Benjamin Schwartz, Albert Barnathan toutes ces personnes sont déportées alors qu’elles auraient dues être exemptées. Papon, vous n’avez toujours pas d’explications ? »
Papon « Non »

L’avocat général Robert « Quand on dit qu’on sauve des Juifs, que le chiffre de 70 % d’arrestations est bon. Que c’est un échec pour les allemands. Connaissez-vous les autres résultats en France ? »
Papon « … »
L’avocat général Robert « La rafle du Vel d’Hiv avec des moyens plus importants a donné un résultat de 40 %. Alors êtes-vous fier de réaliser un score de 73 %? »

Papon « Je voudrais vous y voir à ma place. Qu’est-ce que vous auriez fait ? »
L’avocat général Robert « Je n’aurai jamais été à votre place. » (…) « Quand on adresse un message de félicitations sur en-tête du secrétaire général. »
Papon « C’est Garat. »
L’avocat général Robert « Non c’est votre en-tête – secrétariat. Donc votre secrétaire prend beaucoup d’initiatives. Encore un subordonné qui n’en fait qu’à sa tête ? »

etc., etc.

extraits du livre et présentation

Mon livre est enfin publié !

Il sortira en Librairie deuxième quinzaine d’octobre

Merci à Éric Pédegai, mon éditeur et son équipe de « La Lauze » pour la qualité de leur travail.

Merci à Patrice Boyer pour sa préface, à François Fournier pour sa bibliographie commentée et à ma fille Alicia pour m’avoir réécrit « les petits cailloux », chapitre essentiel qui retrace l’histoire familiale.

Une quinzaine d’œuvres d’Esther Fogiel, artiste méconnue, sont présentées dans ce livre.

Extrait page 11 :

Pourquoi les vrais chiffres et pourquoi la vérité sur le dossier ?

Ce livre se veut une réponse à ceux qui soutiennent Papon sans réserve, à ceux qui changent de camp en croyant que la vérité change de camp avec eux, à ceux qui s’arrangent de la vérité, qui se servent sans donner en retour (…) ce livre se veut une réponse face aux chiffres les plus fous qui circulent et notamment sur le nombre de convois, de raflés et de déportés. Il se veut une réponse encore, devant les récupérations de paternité de l’affaire et devant les distorsions de la réalité sur le rôle joué par chacun. Il me semblait indispensable que dans ce travail de mémoire, il faille rétablir la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, sans révisionnisme ni négationnisme et tant pis, pour ceux et celles qui se font épingler sur le tableau noir de l’histoire.

Extrait page 24 :

Les petits cailloux par Alicia Matisson

Aujourd’hui, dans les collèges et lycées, dans lesquels mon père va témoigner tous les ans pour parler de la déportation, les enfants et les professeurs veulent re-humaniser les victimes et travaillent sur la reconstitution des familles. Cela m’est apparu comme une obligation de traduire en récit, des chiffres et des faits, ne serait-ce que d’imaginer comment mes grands-parents ont grandi avec la guerre. Recréer l’atmosphère de l’époque pour comprendre leur état d’esprit, les enjeux. Mettre en évidence les petits gestes, les héros la plupart anonymes, qui ont permis qu’aujourd’hui je me lance dans cet exercice de « romantisation » de mon histoire familiale. C’est une histoire recomposée à partir de non-dits, de bribes de souvenirs d’enfants traumatisés, trop jeunes certains pour se rappeler la douceur d’une mère, mais tentant de donner un sens à leurs démons, fardeau de la mémoire du survivant. C’est une histoire reconstituée à posteriori, par des recherches, des éléments administratifs… 50 ans après la guerre, lors du procès Papon, des mémoires, ont resurgit les souvenirs terribles de ces rescapés

Extrait page 45 :

Transmettre

Maurice, refusait toute appartenance quelle qu’elle soit. Pour être lui-même, réellement lui-même, citoyen du monde. Il ne se voulait pas juif, mais était porteur de cet héritage. Le siècle a commencé par le procès Dreyfus et s’est terminé par le procès Papon. Tous les deux auront permis de lutter contre l’intolérance, le racisme, le rejet de l’autre. Ce dernier procès aura permis à la France de retrouver une part de sa mémoire et de sa dignité sans lesquelles il n’y a pas d’espérance possible. De ce procès, je conserve deux sentences en mémoire, comme les limites d’une ligne de démarcation de l’indicible : le grand rabbin Sitruk : « Le Juif est le baromètre de l’histoire » et l’historien Philippe Burrin: « En terre chrétienne, la disparition des Juifs – conversion volontaire ou forcée – a toujours été inscrite structurellement dans l’horizon intellectuel du christianisme ».

Extrait page 262 : Extrait de la plaidoirie de Michel Tubiana :

… vous n’avez été qu’indifférent. Ce furent des temps où il fallait rompre et vous avez… » Papon: « Vous faites de la démagogie. » Maître Tubiana : « Vous êtes complice de l’oubli et du mépris des droits de l’homme et vous avez oublié ce qu’est un Juif. » Papon: « Vous mentez » Le président Castagnède s’interpose, Papon: « Il me parle, je réponds! » Le président: « Vous aurez le temps de lui répondre, laissez terminer la plaidoirie. » Papon: « Il y a des choses qui dépassent l’audible. » Maître Tubiana : « Quelque chose l’a touché. Il vient peut-être d’exprimer que quelque chose a pénétré dans lui de sa responsabilité. Je disais, que vous avez oublié qu’un Juif est un homme. » Papon: « Vous êtes un calomniateur, il y a des choses qui ne sont pas audibles. Laissez moi me retirer dans mon salon! » Le président Castagnède : « Papon, ce n’est pas vous qui partirez, c’est moi qui vous ferai évacuer… » Varaut intervient, sa main sur celle de Papon, le calme ou essaye… Papon se rassoit, mais comme le dirait Klarsfeld, il boude… Maître Tubiana a obtenu la preuve de ses affirmations. Papon, qui l’interrompt n’a apparemment pas compris ce qu’il faisait ici. Maître Tubiana continue : « Nous ne venons pas demander vengeance. Simplement justice. Vous condamnerez Papon. C’est bien le même homme, le même dédain, le même mépris, le même cynisme. Aujourd’hui dans le box, comme hier dans la cour de la préfecture de police de Paris quelques heures avant le massacre des Algériens; comme avant hier, le 26 octobre 1942, quand il allait déjeuner chez le préfet, son patron et son ami, tandis que les Juifs étaient embarqués pour la mort. “Michel Tubiana termine avec la tirade de Shylok, de Shakespeare, dans le Marchand de Venise.” Un Juif n’a-t-il pas d’yeux ?… Et oui monsieur Papon, un Juif est un homme, comme étaient des hommes tous ceux qui ont payé de leur vie de s’être révolté contre un régime que vous avez servi sans états d’âme et sans remords, ce dont nous venons vous demander réparation. »

Extrait page 504 – 505 L’histoire est un éternel recommencement

L’histoire bégaye, un matin de janvier, un dimanche, si mes souvenirs sont bons, le téléphone sonne et le président du Consistoire m’annonce que le cimetière israélite de Bordeaux a été vandalisé. Parmi les tombes profanées, celles de mes grands parents ont été cassées. Ma grand mère a perdu pendant la guerre en déportation ses 4 sœurs, leur mari, leurs enfants et sa maman… Mon grand père a perdu pendant la guerre en déportation son fils et son ex femme… Ma grand mère a fait partie des quatre premières parties civiles, celles qui ont déclenché l’affaire Papon… Elle s’est constituée partie civile sans aucune hésitation. Ma grand mère est morte, inculpée par Papon de dénonciation calomnieuse (voir mon témoignage et mon dialogue avec Maître Varault, l’avocat de Papon, devant la Cour d’Assises), ma grand mère a été rendue malade, par un juge, qui voulait « se payer les Juifs de l’Affaire Papon, honte à lui !» et qui a envoyé deux gendarmes lui remettre son inculpation. Je n’ose même pas décrire l’état dans lequel se trouvait ma grand mère devant une telle goujaterie. Les rescapés de ma famille ont toujours eu une peur panique devant des policiers ou des gendarmes, allant jusqu’à ne pas pouvoir mettre les pieds dans un commissariat. Ma grand mère aspirait au repos éternel.

Extrait page 507 En conclusion de ce chapitre et de ce livre…

Le racisme est universel, mais les mots pour le dire « communautarisés » Toutes les formes de racisme se valent ! Toutes les victimes de racisme se valent ! Est-ce normal d’entendre des victimes de racisme s’en prendre à d’autres victimes ? Est-ce normal de voir des Noirs tenir des propos antisémites. Est-ce normal de voir et d’entendre des Juifs tenir des propos racistes. Toutes les victimes se valent, il ne doit pas y avoir de conflit victimaire de mémoire. Xénophobie, racisme, antisémitisme, antisionisme, islamophobie, judéophobie, homophobie, antiféminisme. Autant de termes qui désignent le même mal. Mais la critique d’une religion n’est pas une forme de racisme et si la judéophobie ou l’islamophobie ont pris une connotation de racisme, c’est à tort. On peut et on doit être anticlérical sans être raciste. (…)

La laïcité n'est pas une opinion, c'est la liberté d'en avoir une